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L’eau, ressource et prélèvements

samedi 9 juillet 2011, par Delpech

Lorsque l’on écoute les élus, d’ici comme d’ailleurs, on constate que chacun envisage un accroissement parfois conséquent de sa population –une « promenade » sur le territoire de la Communauté de Communes de Montesquieu montre que le phénomène y est en pleine expansion- et, moyennant le passage d’un « pavillonnaire dévoreur d’espace » aux « R+1 ou R+2 » en continu, nous nagerions dans le développement durable… De nos grands élus régionaux qui clament leur ambition d’une « Grande Métropole Bordelaise », de « Bordeaux, ville millionnaire », aux élus de base en passant par les communautés de communes, un large consensus sur le sujet est établi. Pour preuve, des documents comme le « Schéma Régional d’Aménagement Durable du Territoire  » (SRADDT), « Aquitaine Horizon 2020  » (avril 2006) ou, plus localement, le «  Programme Local de l’Habitat 2009  » de la Communauté de Communes de Montesquieu, ou encore, plus généralement, les différents PLU. Tous tablent sur de forts accroissements de population. Un point semble avoir été sous-estimé pour ne pas dire oublié, c’est le problème de l’eau dont il est pourtant reconnu que ce sera un des enjeux majeurs, du local au mondial, pour les décennies à venir.
Cette impasse paraît d’autant plus surprenante qu’un des fondements du Développement Durable est «  l’adaptation de la demande à la ressource  » et que les travaux du SAGE Nappes Profondes Gironde, approuvés en 2003, tiraient déjà une sonnette d’alarme sur l’état de nos nappes souterraines.
Il y a peu, dans le cadre du « SAGE nappes profondes révisé  » qui devrait être adopté fin 2012, étaient mis en évidence à la fois les problèmes d’alimentation en E.P. de la région bordelaise et l’état insoutenable des prélèvements dans la ressource la plus sollicitée : la nappe de l’Oligocène (dont l’extension sud coïncide avec la Communauté de Communes de Montesquieu).
La CLE considère qu’il y a urgence à mettre en oeuvre des « ressources de substitution » avec un objectif de 20 à 25 Mm3 par an à l’horizon 2020. Parmi les solutions proposées par le SMEGREG, la CLE en a retenu 3 :
- le projet dit « Cénomanien Sud-Gironde » (Saint-Magne) susceptible de donner 10 à 18 Mm3 par an ;
- le projet « Nappes alluviales de la Garonne », 10 à 12 Mm3 par an ;
- le projet Oligocène de Saint-Hélène (Médoc), 5 Mm3 par an.
Le projet « Cénomanien » serait traité en priorité.
Ces travaux portent sur une zone comprise entre le nord de Bordeaux et Langon, en rive gauche de Garonne.
Considérons quelques ordres de grandeur.
Sur la zone d’études :
- Prélèvements réalisés pour l’AEP : ≈ 60 Mm3/an
- Prélèvements nappe oligocène (2006) : 41,5 Mm3/an
- Prélèvements source de Budos (Oligocène) (2006) : 10 Mm3/an
- Prélèvements source de Castres (Oligocène) : 2 Mm3/an
- Prélèvements sur une ligne de forages échelonnés entre Léognan et
Saucats dite : « Ligne des 100000 m3/jour » : 6 Mm3/an
- Consommation de la population de la CCM (36800 habitants) : 2,5
Mm3/an.
Ce dernier chiffre montre combien les volumes destinés à des communes du Sud Bordelais sont sans commune mesure avec les volumes prélevés sur la nappe ; la différence correspond aux appétits considérables de la CUB qui, après avoir pillé les ressources de ses plus proches voisins, se voit aujourd’hui contrainte d’aller voir un peu plus loin.
Conséquence de ce pillage : le document de 2005 confirme ce qui était déjà révélé en 2003 : le dénoyage de l’aquifère oligocène sur le secteur de Cabanac-Saucats-Léognan.
Qu’entend-on par « Dénoyage  » ?
Cela fait appel à deux notions, celle de « nappe captive  » et celle de « nappe libre  ».
Une nappe captive est une nappe enfermée entre un plafond et un plancher (épontes) étanches ; entre les deux la nappe est en surpression.
Une nappe libre est une nappe qui n’est plus confinée par un plafond ; elle est alors soumise à la pression atmosphérique naturelle.
Une nappe captive dont le niveau descend au-dessous de son plafond devient libre.
Les conséquences du dénoyage d’un aquifère sont graves :
Les phénomènes de « drainance » à partir de la surface du sol ou des réservoirs sous- et sus-jacents peuvent être la cause de pollution de l’aquifère par des eaux de mauvaise qualité et la présence d’air, consécutive à la désaturation du réservoir, peut altérer les équilibres physico-chimiques de la nappe et favoriser le développement de bactéries. Les conséquences peuvent aussi être graves pour les cours d’eau dont le débit chute lorsque leur alimentation à partir des eaux souterraines fait défaut, sans négliger la possible alimentation de la nappe par le cours d’eau, avec là aussi des risques de pollution conséquents.
Ceci dit, il faut être conscient que les « ressources de substitution » qui doivent avant tout permettre de répondre à un accroissement conséquent de la demande ne sont pas indemnes d’inconvénients :
- Pour les eaux des alluvions de Garonne, tout le monde pense à la qualité du produit distribué..
- Quant aux prélèvements dans le « Cénomanien » de Saint-Magne, même dans l’attente d’études d’impacts plus solides, il semble aujourd’hui avéré que cela ne se fera pas sans incidence sur les lagunes du secteur (site Natura 2000 des Lagunes de Saint-Magne et Louchats -FR7200708) ni sur le régime des sources environnantes et du Gat Mort.
- Le réservoir cénomanien dans ce secteur est karstifiée ce qui le rend très sensible aux pollutions .
Se superpose à tout cela un aspect qui, à première vue, concernerait moins des environnementalistes : l’aspect économique.
Il va sans dire que la mise en œuvre de ces ressources de substitution n’est pas gratuite ; seule la CUB est en mesure de faire face aux importants investissements nécessaires (à titre indicatif la mise en œuvre des ressources de substitution provenant du Cénomanien sud Gironde est de l’ordre de 40 à 50 millions d’€ ). Moyennant quoi, il est d’ores et déjà prévu que, dès le lancement des pompages sur Saint-Magne, 70% de la ressource serait destinée à la CUB… à charge de distribuer le reste aux communes qui en auraient la nécessité ; le principe même de ces ressources de substitution impliquerait des interconnexions entre les différents réseaux d’alimentation en eau potable ; à terme, cela conduirait à la mise en commun de la production et de la distribution. Évidemment, cela rendrait obsolètes les Syndicats locaux d’A.E.P. Certainement les élus aménageurs ne seraient pas mécontents d’être affranchis des contingences de la ressource locale en eau dès lors qu’il suffirait d’aller frapper à la porte d’un organisme centralisé pour être servi. Toutefois, l’idée d’une position dominante de la CUB dans cette affaire ne manquerait pas de susciter quelques réticences lorsque l’on connaît la « dureté » de la CUB (dont La Lyonnaise n’est jamais très éloignée) en matière de contrats. Cela justifierait une orientation vers un « Établissement Public Territorial de Bassin » au niveau de la Gironde.
On peut conclure avec une « Lapalissade » : plus il y a de citoyens, plus il faut d’eau.. » et la recherche en est toujours plus éloignée, toujours plus sophistiquée.
Pour aussi évident que cela puisse paraître, cela semble échapper à beaucoup d’élus, grands et petits. Discutez des ambitions d’un PLU avec un élu et vous avez toute chance de vous entendre répondre : « Pour quelques maisons de plus… ». Eh bien, Non ! Ce ne sont pas seulement ici quelques maisons en plus cette année, c’est tous les ans des maisons en plus, ici, à côté et ailleurs. Cela doit se considérer globalement comme la ressource en eau.
Et puis le problème de l’eau ne se limite pas à la ressource… Il y a aussi celui des effluents après usage… Il y a bien évidemment les stations d’épuration dont tout le monde fait semblant de croire qu’elles sont l’arme absolue en matière de dépollution. C’est oublier un peu vite que les parties « solides » que l’on retrouve dans les boues de bassins d’épuration, souvent riches en métaux lourds, finiront chez quelques agriculteurs complaisants et que les eaux rejetées dans
nos rivières, pour claires qu’elles soient, sont chargées d’œstrogènes, de résidus médicamenteux et pas mal d’autres cochonneries en solution. Le problème est que, dans un contexte de diminution des débits de nos rivières consécutifs à un déficit d’alimentation par les sources voire à des « pertes » dues au dénoyage des nappes sous-jacentes comme à de prévisibles étés plus chauds et plus secs, le
débit des stations d’épuration va inexorablement à la hausse. Le rapport entre les deux n’ira pas dans le sens d’une amélioration de la qualité des eaux de nos rivières.

Philippe Delpech,
février 2011